C’est probablement l’une des villes d’Asie qui m’a le plus charmé. Si l’architecture coloniale en désuétude offre à la mire des voyeurs de l’exotisme, un attrait suranné et irrésistible, la vie en elle-même dans ce capharnaüm sans cesse en mouvement, m’aura davantage intrigué et séduit. On ne peut être que frappé par la variété de couleurs qui battent le pavé, comme si une chorégraphie en arc-en-ciel s’était installée là au milieu des rues, improvisée et nonchalante, sous le cri des chalands et des senteurs d’orient.

Je ne pouvais donc pas travailler comme à l’ordinaire en noir et blanc, car je me sentais l’obligation de montrer ces feux d’artifices terrestres dans ce qui fait le décor du quotidien de la plus belle ville de Birmanie.

Les échoppes ouvrent tôt le matin, en commençant par celles qui prodiguent des repas. Les effluves des marchands et cuisines de rue ne tardent pas à envahir les rues. Puis aux mini restaurants succèdent les vendeurs de fruits ou d’électroniques ou de tissus. La rue est un ballet incessant de saveurs, de couleurs, d’hommes et de femmes qui vont ou restent, au gré des envies et des besoins.

Les gens que je rencontrais y sont très agréables et curieux. La patience des Birmans est à noter, car en visiteur étranger, on se retrouve très rapidement confronté au besoin de communiquer et on ne sait jamais quelle langue utiliser. L’anglais basique ne permet pas tout malgré le zèle de mes interlocuteurs pour me comprendre. Comme toujours, si mes discussions avec les locaux sont loin d’être dithyrambiques, il faut bien reconnaître que l’usage d’un vocabulaire primitif en langue locale apporte quelques succulentes saveurs aux échanges. La langue des signes suffit heureusement aux transactions économiques, quant à celle des coeurs, je vous laise deviner.

Les pagodes à Rangoon sont somptueuses et chargées d’histoires. En m’aventurant dans le centre ville, je passai près de l’une d’entre elles, au nom de Sule, sans véritablement l’apercevoir. Sa discrétion au milieu de la place me parut enfin naturelle, après que des badauds m’accostèrent pour me la désigner. Suite à ce cogito, j’osai même affirmer que son emplacement me parut évident et j’eus honte de ne pas l’avoir cernée dès le début. Ce fut un cruel débat pour savoir si oui ou non, j’avais manqué de discernement. Mais le rire d’étudiantes dans mon dos, noya définitivement mes interrogations et je continuai ma marche.

La grande pagode Shwedagon que j’avais vue le jour de mon arrivée depuis la vitre du taxi m’avait paru alors fade et sans intérêt. Le même jour, j’eus rencontré un compatriote qui m’avoua après plusieurs années de vie en Asie, que voir deux ou trois pagodes, c’était les rencontrer toutes. Cette allégation ne m’eut pas convaincu et pour en avoir le coeur net, je me rendis à Shwedagon.

Les pagodes en Birmanie, comme je l’apprendrais par la suite, ont des constructions bien particulières, simples et élaborées. Quelle surprise une fois sur place! Mes sens exultèrent littéralement. Mais ce n’était là que le commencement d’une preuve, j’allai m’en assurer en visitant d’autres édifices religieux par la suite. Il y a bien un stûpa qui gagna toutes mes attentes et mon coeur, dans une ville à l’ouest de Rangoun; ceci est bien entendu une autre histoire.

Revenons à la ville. Je passerai sur l’histoire que je confie ne pas bien connaître. En ce qui me concerne, j’en reste aux faits. L’animation qui transcende l’ancien fleuron de l’architecture coloniale victorienne de l’Asie du Sud-Est, ne quitte les lieux que tardivement, alors que les bâillements se rencontrent à toutes les bouches. Le long du jour, je m’épris du marché, si riche lui aussi de couleurs. L’artisanat birman mérite très certainement un article exhaustif. Il est si abondant et si discret : sur les étals, des colifichets, des rubis, des tissus, des sculptures, des laques. Le marché de Bogyoke a beau être très touristique, son abondance révèle bien des visages de la Birmanie et à défaut d’un rubis immaculé ou de laques sur crins de chevaux, décèle-t-on après plusieurs naufrages dans les arcanes du labyrinthique marché, quelques perles rares qui valent bien le détour.

Mais le voyageur que je suis, paresseux dans l’âme, ne trouve pas son gain dans la matérialité. Ce serait une faute que de s’en tenir au miracle de la création, sans questionner les sens qui la rend possible : sans doute faut-il voir dans la mixité des populations et des ethnies, un vivier d’inventivité et de savoirs faire. Car, Rangoon, de par son histoire chahutée, brassage éternel de couleurs et de parfums, est comme une de ces femmes mêlées d’aurore tièdes et de tropiques hâlées. On oubliera ses rides, son trafic chargé, ses rues pleines de crachats rouges de bétel, pour ne lui découvrir que des qualités. C’est ce que j’espère à tous ceux qui auront la chance de la parcourir.

Quelques autres photos que je souhaite partager!

Direction le marché

Buffet de rue

Vendeur de couleurs

Nonnes en quête

Marché de rue

Jeune vendeuse de pamplemousse