Guimarães - du jour à la nuit
Cette ville située entre Braga et Porto jouit d’un prestige certain : l’histoire du Portugal est étroitement liée à ce lieu féérique dont le vieux centre est certainement l’élément le plus marquant. L’air y est moins frais qu’à Porto et les rues sont désertées dès l’après-midi.
On y rencontre certes quelques touristes, mais les habitants sont sereinement derrière leurs volets à attendre les premières fraîcheurs de la soirée. Certaines personnes se risquent tout de même à l’étouffante chaleur qui s’est déposée dans les moindres recoins de la ville et où tout ombre semble une oasis prometteuse.
En descendant vers les ruines, je fais la rencontre de quelques chatons, apeurés aux premiers abords, qui finalement se laisseront approcher. Leur indigence est touchante, voire désespérante. Au fond de leurs pupilles, c’est bel et bien leur estomac tout entier qui regarde le passager de la rue, en quête de quelconque provende. Certains matous chaparderont dans les poubelles des alentours, l’un d’eux trouvera même une carquasse de volaile.
Le centre ville déploie ses trésors d’architecture lorsque la ville s’apaise. Les lumières violentes tranchent l’espace sans dédain, offrant à certaines heures une autre vision du volume.
Au croisement d’une rue, j’entrevois cette croix surmontant une vierge. Seule la croix et la face de la statue sont illuminées, leur projection sur le mur leur donnant une autre dimension ; c’est pour cette raison que j’apprécie cette photographie. Il y a plus que la simple représentation du visible.
Je retourne aux places principales. Je n’y croise personne. La ville semble morte, ôtée de ses habitants. Le soleil avec sa toute puissance n’aide pas, il est vrai, tant son ardeur est brûlante. Faire cent mètres sous le pli innocent de son aura suffit à nous transformer en torche. Si ma sueur était de l’huile, il y aurait de quoi illuminer les rues toute la nuit. Puis, plus loin, je note cette vieille femme qui sort de son immeuble. Sa présece a quelque chose de réconfortant.
Jusqu’à maintenant, quasi impossible de se douter de la fièvre qui emportera en soirée la ville. Il y a pourtant des signes : dans la photo précédente, il y a toutes ces chaises du premier plan. Dans la suivante, l’effet est le même. Tout semble préparé pour un grand festin. Les tables sont dressées, les nappes sont sorties ; il y a dans l’air comme des parfums familiers : ceux de l’ail et de l’oignon.
En fin de journée, les retardataires pressent le pas pour retourner aux casernes et prendre le repas. Tant que le jour ne sera pas tombé, il régnera une ambiance de ville fantôme. Les familles rentrent au foyer comme ici où l’on se donne la main pour ne pas se perdre. La ville est heureusement protégée par ses forts au sommet.
La jeunesse, disparue de jour, commence à occuper les lieux car les températures extérieures sont plus clémentes que celles dans les habitations ; les fenêtres sont grandes ouvertes, les volets, longtemps tenus fermés, laissent transparaître sur les balcons des couples, des jeunes et des vieux qui n’hésiteront pas à regarder depuis leur tribune, les sempiternelles histoires de la rue, théâtre qui se fera de plus en plus homérique au fil de la nuit. Là un jeune homme avec son ordinateur et en fond quelques demoiselles se prenant en photographie.
Des vendeurs de ballons font leur apparition alors que les amis se regroupent pour discuter. Les trottoirs deviennent des nouveaux lieux d’histoires.
Quelques minutes plus tard, je me tournerai vers une des grandes places et surpris, abasourdi, contemplerai la foule immense qui a envahi les tables et l’esplanade.
On se presse pour manger, les joueurs de pipeaux ou d’accordéons donneront la tonalité du soir : rouge tango ou jaune fado ; au choix. Les musiciens de rue parlent la langue de la fête. La jeunesse est aux aguêts. J’observe ce couple qui tourne et retourne sur la place, dans un bain de rires qui fait évanouir tous les soucis au présent.
Il n’y a pas d’âge pour aller s’amuser ou écouter les groupes de rock qui ont saisi la scène sur une estrade. Les familles sont aussi de la partie. Des enfants, mais aussi des nourrissons comme ici :
Comme on dit, le meilleur c’est l’arrière-scène. Le furtif regard qui précède le baiser a peut-être plus de douceur que ce dernier. Je capte ce visage de femme aimante alors que les basses font trembler l’air et que la voix d’un chanteur hurle des trémolos puissants. L’intensité de ce regard un brin mélancolique, ne me quittera pas de la soirée.
Aux heures les plus sombres heures de la nuit, l’activité bat son plein. Techniquement, je fais monter les ISO de mon appareil photo. Les images sont plus vaporeuses, plus irréelles, comme oniriques. A une fontaine, je croise le regard d’un homme, accompagné de sa femme. Son air d’étonnement et de jovialité me traverse les sens. Je le saisis alors qu’une jeune femme passe, avec son abondante chevelure ondulé, comme un rêve.
Sur le chemin du retour, je fais une halte sous les arcades. La fraîcheur de la brise nocturne me réveille les esprits. Une dernière photo que je cueille juste avant que le voile noir du sommeil ne vienne me faire abdiquer.