Restauration d'une mandoline napolitaine
Une mandoline Puglisi restaurée qui ne demande désormais qu’à chanter
Tout travail de restauration commence par un constat. Et ce constat n’est jamais anodin, ni totalement objectif. Il nécessite de parcourir l’objet dans toutes ses dimensions, d’en sonder l’histoire, et au fur et à mesure qu’on le déshabille, de caresser les matériaux et de jauger ces menus détails souvent cachés ou invisibles aux profanes. Il ne suffit pas de parcourir les lignes du bois, les traces et cicatrices sur le bois, l’usure des frettes, de soulever les poussières de dizaine d’années d’abandon pour s’imaginer les vies qui ont animées cette mandoline.
Cette Puglisi dont l’année inscrite sur le libellé à l’intérieur a malheureusement été effacée, a eu un passé assez tumultueux si j’en juge l’état des frettes, de la touche et du manche. Elle a joué, beaucoup. Quelles mélodies ? Quel concerto ? Qui en jouait ? Un amant sorti droit de Don Giovanni qui n’a pas perdu l’espoir de rencontrer Juliette ? Ou, bien serait-ce une de ces demoiselles sages, qui dans l’intimité d’une chambre aurait tenté d’appréhender le virtuose Calace ? Il me semble que la mandoline a eu plusieurs vies, ainsi que les chats, et que si certaines ont du être calmes, d’autres ne l’ont point ménagé comme le témoigne l’état général. Mais c’est une mandoline coquette, une de ces cantatrices dont la beauté fânée n’efface jamais la voix sûre et sereine qui, autrefois, devait echanter bien des prétendants. Par ailleurs, le nacre est encore fort joli, et le bois de rose de son dos, aujourd’hui fissuré, sa table en épicéa de qualité, comme le petit coeur en haut du manche sont autant de signes de sa splendeur de naguère.
Une sicilienne d’inspiration napolitaine.
Je l’estime à la période 1910-1920. Fabriquée donc à Catania en Sicile, par une des fils de Reale Puglisi. La première lettre de la signature fait pencher pour Michelangelo plutôt que Conchetto. Les Puglisi ont produit des mandolines de toutes inspirations, romaines, napolitaines, en plus de moults autres instruments (violons, guitares, violoncelles, …)
Au menu : des fissures, des crics et des cracs, des morceaux brisés, une table salie et surtout enfoncée. Le manche s’est replié. A défaut de redresser la table ou de refaire le manche, il faut étudier la possibilité de rajouter une cale, de changer la longueur du diapason et de refaire la touche entièrement. Bien sûr, la première question qui se pose : que puis-je garder ? Les frettes qui ont encore quelques millimètres. La touche est cassée en plusieurs endroits sous la pression des cordes.
En sus, il faudra insérer des filipo dans les fissures de la table et du dos, recoller, nettoyer et poncer, et finir au vernis. On rajoutera en fonction de l’état des barres, des plaques pour renforcer les réparations, ou un filet ou simplement du scotch. C’est en fonction de qu’est-ce qui colle avec quoi. Pour les colles d’ailleurs, on s’en tiendra à la colle de peau pour rendre la réparation réversible.
Commençons par retirer les cordes et le chevalet. Ce dernier est sans compensation, simple, en bois d’épicéa peint. Pour cette belle, c’est fort dommage … du coup, je pense refaire un chevalet en bois de rose, avec soutien en ébène et compensation.
On dépose les mécaniques, c’est un peu une surprise … le bois est comme défoncé, on ne peut dire que les trous ont été faits avec un grand soin. Mais heureusement, ces blessures restent cachées par les plaques des mécaniques. Etaient-elles déjà là à l’origine ? Ou ont-elles été faites a posteriori ? Le manche et sa tête sont marquetées. Du bois de rose a été plaqué pour masquer du bois d’épicéa.
On décolle la touche, qui est posée sur une cale très fine. La touche elle-même n’excède pas 3mm d’épaisseur. Beaucoup de signes d’une économie de moyen, qui permet de situer un peu mieux la classe de cette Sicilienne ; ni prolétaire, ni bourgeoise. Mais ce qui importe le plus, c’est le son bien entendu. Espérons que les améliorations (cales, nouveau chevalet, ajustage hauteur des cordes, réduction de l’épaisseur de la table) apporteront des bénéfices significatifs sur le son.
De l’autre côté, le dos est très griffé, avec des fissures importantes et des trous.
Je commence par le dos bombé. De la poussière à profusion … à force de poncer. Je referme les fentes que je renforce avec du scotch entoilé sur les parties intérieures. Reponçage et vernis à la gomme-laque qui permet de protéger un minimum.
Attaquons nous maintenant à la table.
Avant Après
Ici, j’ai commencé à réparer la table, insérant des filipos prélevés sur une bûche en pin. Sur la photo, on note qu’il manque des morceaux du golpeador en écailles de tortue, et qui a séché et s’est décollé par endroit. Il est devenu aussi très cassant. Les miettes seront recollées, nettoyées.
N’ayant pas d’atelier, je travaille sur une table fort simple. Evidemment, c’est très inconfortable et il faut ruser pour attacher et tenir les objets. Plus tard, je récupérerai un établi, ce qui va rendre le travail beaucoup agréable et efficace.
Je nettoie les mécaniques et les vis. Ces dernières bien rouillées sont plongées dans du vinaigre blanc pour une journée, en veillant à agiter de temps à autre.
Une nouvelle touche est construite à partir d’un bloc d’ébène. J’ajuste la pente de la cale, et décide de l’épaisseur de la touche. Ensuite, je créé les filets pour les frettes, puis les trous pour les décorations en nacre. Pour les finitions, dans la mesure du possible au rabot et au racloir : c’est la garantie d’une finition de qualité, en comparaison du ponçage en grains de plus en plus. Bien entendu, cela requiert un fer de rabot très bien aprêté, et un racloir bien profilé. Beaucoup de temps passé face aux pierres à aiguiser … parfois une demi-heure avec lunette loupe pour finir le tranchant.
Je passe les étapes de frettage et de collage, de la cale et de la touche sur le manche. Désormais commence le travail d’ajustements de la hauteur des frettes. Première étape on uniformise toutes les frettes, puis on travaille frette par frette pour les affiner au sommet, les ajuster au manche, et enfin pour les polir.
Désormais, je construis un chevalet inspiré des mandolines romaines. Il faut bien surveiller la hauteur et veiller à ce que le bas du chevalet suive bien la courbe de la table de la Sicilienne. Les dernières réparations sur le golpéador sont effectuées. J’utilise pour cela un golpéador en plastique qui reproduit les écailles de tortue, que je coupe précisément pour combler les parties manquantes.
Il ne reste plus qu’à mettre les cordes … et à jouer. Enfin presque, là débute un travail d’ajustements fins afin de corriger d’éventuels défauts d’intonation. Le jeu (hauteur des cordes) est optimisé à la 12ème frette (hauteur de 1.75mm à 2.9mm selon les cordes). Plusieurs itérations seront nécessaires. La table est protégée à la gomme-laque très légéremment.
Et voilà le résultat final! Vue avant et après.
La mandoline est très agréable à jouer. Le son est puissant dans les graves et clair dans les aigüs. La table vibre très bien et le volume est encourageant. Après quelques jours de jeu, le son devient très vivant, les aigüs résonnent davantage, le chevalet se stabilise. La belle va pouvoir rejouer quelques mélodies. Que dirait Don Giovanni ?
Merci à Noemi pour la mandoline!