En ce qui me concerne, je traque la consolation comme le chasseur traque le gibier. Partout où je crois l’apercevoir dans la forêt, je tire. Souvent je n’atteins que le vide mais, une fois de temps en temps, une proie tombe à mes pieds. Et, comme je sais que la consolation ne dure que le temps d’un souffle de vent dans la cime d’un arbre, je me dépêche de m’emparer de ma victime.

stig dagerman, Vårt behov av tröst är omättligt

Ma hardiesse m’avait poussé au crime : celui de passer un col. J’avais entraperçu ce dernier depuis la barge qui m’y avait lentement conduit. Du moins me l’étais-je figuré car la tempête de neige qui avait surgi au moment de ma traversée, avait eu pour effet de réduire la visibilité à néant et mes visions avaient tenu davantage de la rêverie que d’une tangible réalité. L’idée de passer un col pour gagner les baies abritées du littoral ouest m’avait enchanté, et ma fixation devenue excitation désobéit à tous les signes de mise en garde qui s’interposaient entre mon but et moi.

Paysage typique

Ce choix de route fut un désastre complet. Non seulement je dus battre en retraite, mais au plus fort de la bataille, je dus lutter contre l’ennemi le plus sournois de ces contrées : l’eau gelée. Voilà ce qui s’était passé :

« Après m’être hissé jusqu’au col, non sans mal, alors que les paillettes de neige se jetaient droit sur moi et que le vent cinglait les bretelles de mon sac à dos, j’entendis des craquements dans le berceau des cimes. Le sol vibra à plusieurs reprises et il n’y eut plus de doute sur la nature de ces hurlements : il y avait non loin de moi, des avalanches. Mais je ne pus que les soupçonner, aveugle que j’étais en raison de la brume tenace. J’avançais à tâtons, et comme à la montée, mes pas s’écroulaient dans la poudreuse, jusqu’au bas des cuisses. Je commençais à fatiguer au cours de la descentes, et ce fut sur le plat que tout arriva. Ma carte mouillée jusqu’à l’os fut illisible, d’autant qu’elle n’était pas aussi détaillée qu’on aurait pu le souhaiter. Je suivis le chemin de ma boussolle, jusqu’au fond de la vallée. La marche devenait plus facile car le sol était dur. Toutefois, ce fut le piège, car après quelques mètres, la terre s’ouvrit sous mes pieds et je plongeai de tout mon poids, accablé par des kilogrammes dans mon dos, dans le plus gelé des lacs gelés. Quel ne fut mon effroi! »

Fond de fjord

« La débâcle! Ce fut avec peine que je retournais vers les hommes et leurs habitations car trempé jusqu’au rein, je n’avais pas d’autres choix que de me réfugier dans une de ces cabanes abandonnées d’un fond du fjord afin de ne pas subir les assauts mortels du blizzard, au moins pour une nuit. »

« J’y restais finalement trois nuits, le temps de sécher l’intégralité de mes affaires et de profiter du relatif isolement. J’en profitais pour faire un nettoyage du logement. Le soleil avait perlé pendant deux jours, et le spectacle des vallées et des sommets m’avait ébloui par leur grandeur et beauté. Zola arriva un peu à l’improviste. Je l’avais oublié sur ma liseuse électronique et pour me divertir du silence sans perdre du verbe, j’avais repris ma lecture des Rougon-Macquart depuis son commencement. Les romans s’étaient enchaînés pendant ces jours paisibles. Je m’étais délecté de Plassans, du ventre de Paris, de Nana … ».

Qu’avais-je cherché dans ces montagnes du nord qui dépassait le plaisir de lire? N’était-ce pas le vertige des rencontres anonymes et fugaces aux confins d’un désert de glace, le charme changeant d’une franche de neige sur un flanc de colline?

Ponts vers Fredvang

Fredvang fut un autre ami, admirable tout près de Ramberg. Il fallut le consoler car il se trouvait bien seul en vérité à errer sur la steppe. J’y passais néanmoins quelques fabuleuses journées à fouler le sable sur de ses plages, et scruter les rides des vagues. S’il y avait bien des habitations aux alentours, je n’y croisais personne. L’austérité du lieu suffisait apparemment à l’isoler des hommes. Le vent sec et glacial qui venait du nord ne me dérangeait pas. Au contraire, il était un murmure agréable et je m’en imbibais jusqu’à l’ivresse. Profitant de ma halte, je cueillais quelques phographies dans mon Rolleiflex.

Réflexions

Les environs étaient simplement magnifiques. Peut-être que le temps plus clément m’avait offert plus d’opportunités de découvertes. La neige avait fondu au niveau de la mer et mes déboires de l’autre jour n’étaient déjà plus que de chaleureuses mémoires à partager. L’étroitesse de ma tente était d’un confort tout relatif, mais je m’y étais accommodé et de toutes les façons, en pareil cas, je passais la plupart de mon temps à l’extérieur.

J’aimais particulièrement le calme des eaux. Bien qu’elles fussent des bras de mer, ces larges étendues étaient polies et reflétaient sans une ride ces panoramas idéaux. Il y avait bien par moment, un chalutier ou une barque pour briser la quiétude de la vague soumise, suggérant sous la proue la marque d’un v grandissant. Je goûtais au retour du soleil et à l’accalmie. Néanmoins, je sentis après quelques jours que le nord m’appelait et sans attendre, je repris la marche.

Jeu de lumières

i. Bodø

ii. Lofoten Sud

iii. Lofoten, d’Å à Reine

iv. Lofoten, Zola, Fredvang et d’autres