Lofoten, d'Å à Reine
Hier la mer était polie comme un miroir et aujourd’hui elle est polie comme un miroir.
La tentation de se perdre au sud de l’île fut grande. Les chemins étaient infinis et les invitations nombreuses. Ô combien les névés seyants, les sentiers crus sur les ubacs gelés, la solitude des baies abritées, le goût de la terre au sortir de l’hiver, l’idée d’être loin de tout à dévisager le firmament me comblaient de promesses sages ! Mais ces soubresauts de folie ne purent me mener sur les cimes. La neige mouillée et le blizzard ininterrompu qui sévissait depuis quelques jours me gardaient bien de m’aventurer au-delà du raisonnable. Les nuits précédentes passées à Å et ses environs revenaient hanter ma mémoire. Je ne me souvenais guère du nombre de fois où, pendant mon sommeil, réveillé par un frisson, je dus trouver l’énergie nécessaire pour me vêtir, m’extirper du sac de couchage et déblayer les battants roides de ma tente toute emmitoufflée d’une couverture immaculée et glaciale.
Autel naturel
Après une balade autour du lac qui borde l’est d’Å, je projetai à gagner Reine à quelques kilomètres de là. Des passagers à bord du ferry de Moskenes m’avaient tant loué les paysages de cette bourgade placée singulièrement que je fus assailli de doutes. Rester ou partir ?
J’étudiais la question au bord de la route lorsqu’apparurent deux jeunes femmes à la crinière blonde. Ces dernières se prenaient en photographie. J’hésitai à les déranger puis en un maladroit mouvement, j’allai droit vers elles pour leur soumettre le pourquoi et comment de mes tergiversations. Reine qui se prononce reiné en norvégien, semblait jouir d’une véritable aura dans les discours de ces demoiselles qui abusaient de qualificatifs brillants et fantastiques. Je sus dès lors vers quelle destination me tourner.
Avant mon départ, en examinant la carte au 1:100.0000 que je possédais, les routes possibles m’étaient apparues diverses et sans ambage. Tout avait semblé depuis mon douillet lit, d’une facilité déconcertante. « Il suffit », me répétais-je ! Cependant, dans la réalité, les pistes se brouillaient littéralement avec la neige et le frimas épais qui par moment envahissait brutaliement les lieux. Mes réflexions ne m’empéchèrent heureusement pas de remercier mes interlocutrices et je fis quelques pas vers le nord pour montrer ma bonne volonté. Hélas, je ne sus quel sentier prendre. Il y en avait tellement sur la carte, et tous impraticables !
Séchage sur claies du morue
L’odeur du poisson séché était prègnante. Elle ne me dérangeait nullement ; avec un peu de temps, je l’aurai sans doute même aimée. J’avais acheté en ville un peu de morue deshydraté dont je me régalais en accompagnement de mes soupes improvisées. En effet, l’omniprésence du vent rendait difficile l’allumage de mon réchaud à essence et je devais redoubler d’efforts pour obtenir la moindre flamme de mon rustique équipementPour des raisons évidentes de poids, je n’avais emporté qu’un petit réchaud à essence qui consistait en deux fonds de canettes en aluminium encastré l’un dans l’autre . J’avais du me contenter, tout en grognant, de plusieurs tasses de café froid. Même bouilli, celui-ci périssait dans les secondes suivantes. J’avais beau le dorlotter entre mes doigts gelés, le liquide abdiquait devant l’impétueuse nature, et le résultat fut hélas toujours désastreux pour mon gosier.
Rorbu ou cabane de pêcheurs traditionnels
À Reine, les maisons de pécheurs donnaient le ton. Depuis mon arrivée, le ciel gris prenait des tournures menaçantes. L’illustre inconnu qui m’avait conduit jusqu’ici à bord de son véhicule, avait été moins enthousiaste dans la description de Reine. « Trou glacial où les touristes venaient s’entasser pour capter les fameuses lumières du nord ou aurores boréales, ce bourg triste n’est guère attirant. » Ses mots sordides ne m’avaient pas rassuré. Il avait ajouté pour conclure que « c’était tout le temps pourri ». Et mes premiers contacts avec la météo de temps de poix, avec les pointes de brises terrifiantes, ne paraissaient pas déroger à la règle que mon hôte avait implicitement édictée.
Pour me réchauffer, je commençai par bouillir de l’eau sur la jetée du port. Mais les flocons ne tardèrent pas à semer la discorde sur mes plans de café. Il me fallut une grande détermination pour finir de chauffer un peu d’eau à trente degrés, et l’aide du porche de l’église pour ne pas finir enseveli sous la poudreuse. La visibilité fut quasi nulle, et la seule chose que je devinais dans les trouées de brume, fut la houle, grosse et sévère. Voilà ce que c’est de partir en avril pour ces contrées septentrionales !
La nuit approchait et la température chutait vertigineusement. Je me surpris à prendre des photographies, en attendant l’arrivée du crépuscule. Au loin, la mer s’était calmée et j’avais pu discerner dans le reflet des eaux la magnificence marbrée des falaises. Mais pour combien de temps ?
Autre vue de Reine