Ms.Lofoten
Queues de morues
Ce n’était guère l’odeur rance du poisson séché, ni le frimas gourd qui suaintait en dévallant la colline, qui me poussèrent à quitter Ramberg. Ma curiosité, le récit d’autres voyageurs avaient eu raison, encore une fois, de ma paresse. C’était ému que j’avais capté les mots tendres de mes pairs, bien qu’ils eussent à mon goût, trop d’intérêt pour l’action et moins pour la contemplation. Je décelais maintes fois dans la voix des routards les aspects financiers du voyage, du besoin de planification et de mimétisme. Il s’agissait de « faire comme les autres » et non plus de voir et sentir et entendre par soi-même. Toutefois, ce biais n’était pas de nature à gâcher mon écoute de tous ceux qui aimaient partager leur vécu.
Horizon nord
Le départ fut donné en soirée. J’avais toujours apprécié de marcher au clair de lune. La longue route sinueuse qui menait à Leknes fut déserte après les coups de minuit. C’était assez pour me convaincre d’une escapade nocturne. J’ignorais à vrai dire vers quels lieux me portaient mes souliers. J’avais soigneusement évité de marcher sur le bitume pour les épargner et m’épargner, car ils avaient la fâcheuse tendance d’être désagréables sur les routes. Mais plus la nuit avançait, plus le froid gerçait mes lèvres, plus les étoiles scintillaient, et moins j’étais dérangé par mes deux sabots. Je me sentais fort comme deux hommes et j’avançais fièrement au gré du grésil des vents.
Avant le départ
Au petit matin, j’étais comme un ivrogne, fatigué par une nuit de bibines. Tout se passa rapidement. Une voiture s’arrêta à ma hauteur alors que je marchais sur le bord de la route. Je ne me rappelle plus de la conductrice. Je n’avais qu’un mot en bouche : HurtigrutaC’est le nom donné à la ligne de liaison maritime entre Bergen et Cap Nord . C’était ambiancieux car pour cela, il fallait traverser Leknes jusqu’à rejoindre le port de Stamsund à une dizaine de kilomètres plus loin. Mes palabres et explications, qui auraient du la faire fuir, furent sans queue ni tête. Mais loin de la décourager, mes histoires la fit rire. Elle fut touchée, je crois, par mes narrations insensées et me prit en stop. J’ingurgitai tour à tour ses mots, une boîte de sardines, un peu de pain, et je me sentis requinqué, mais certainement pas rétabli. Dans ma tête cinglaient ces mille apparitions nocturnes qui avaient fait le théâtre de ma promenade sous les étoiles.
MS Lofoten
J’arrivai en avance sur le débarcadère, triste et à l’abandon. Je remerciai ma guide pour le transport et l’admirable conversation que nous partageâmes, fut-elle disparate et parfois imbécile. La voiture s’en alla et je me dirigeai vers les guichets. Le billet fut réglé sans histoire et je saisis l’occasion de dormir deux heures. Puis le MS Lofoten se pointa au large alors que le ciel menaçait de crever. J’avais entendu parler à Bodø, une première fois, de cet ancêtre respectable qui faisait le bonheur de ses plaisanciers. Au contraire de tous les autres bateaux de la ligne, le MS Lofoten conservait pour lui sa majesté de croiseur. Il n’y avait pas à son bord, deux mille cabines, et s’il y avait bien un luxe, c’était celui du ronronnement de ses machines, ses bois exotiques qui le meublaient et lui conféraient une allure altière, d’un autre âge (date de mise en service : 1964).
Maisons au gré des flots
Ma cabine, simple et très coquette, comprenait deux couchettes et un petit robinet. Quand le bateau quitta le quai, j’eus un pincement au cœur. J’avais fait le choix de m’arrêter à Tromsö, au nord. Qu’allais-je y trouver ?
Mes souvenirs des derniers jours me revinrent prestement, alors qu’accoudé sur le bastingage, j’observais un couple qui s’embrassait jusqu’au dernier souffle. Je pris part dans le salon commun à des conversations en allemand avec des habitués. Une petite fête fut même organisée lors de notre halte à Trollsfjorden. Plus tard, je rencontrai le capitaine, alors qu’il fumait sur le pont dans la partie haute, où peu de gens allaient à cause du vent et du froid. C’était un homme admirable, heureux de s’arrêter à Tromsö pour y retrouver sa famille. Mon Rolleiflex que je gardais à portée de main, l’amusa beaucoup.
Le MS Lofoten amarra trois fois au cours de la nuit, mais je dormais si profondément que je n’en ressentais pas la moindre vague.