Tromsø
69° 39′ 30″ Nord
Je ne souviens guère de l’heure du débarquement. Toutefois, il devait être environ midi lorsque le Lofoten accosta à Tromsø. La plupart des passagers continuait vers le Nord sans s’attarder dans cette ville. Je quittai mes connaissances chaleureusement, leur promettant d’attraper le même bateau pour mon retour vers le Lofoten. Une dame d’un âge avancé m’envoya un long « Auf wiedersehen » depuis la passerelle d’où elle m’avait observé.
Voilà, j’étais enfin à terre dans une des villes les plus au nord du monde. Cette perspective n’était pas sans me déplaire. Le Nord, indiqué sur la boussole, m’avait toujours paru une destination louable, et j’avais toujours eu pour les hautes latitudes une affection bien particulière.
Depuis l’Ouest
Mes promenades solitaires me menèrent sur les sommets. Le premier fut ardu à grimper, car la neige n’avait pas encore fondu, et la poudreuse promettait des séances de gymnastique intensive. La pente au pied de la montagne était engageante. Je n’eus pas de difficultés à me hisser de cinq cent mètres en passant par la forêt, même si, je dois l’avouer, j’y glissais par deux fois. Ma témérité me rendit aveugle et j’appuyai à deux endroits, mes pas décidés sur des plaques de glace, cachées sous la neige, qui ne m’épargnèrent pas d’une glissade de plusieurs mètres. Plus haut, néanmoins, ce fut un supplice. Je m’enfonçai de plusieurs dizaine de centimètres à chaque pas. À vrai dire, j’avais de la neige jusqu’à la ceinture et mes chaussures en cuir s’étaient progressivement emplies de neige et de glace.
Quand j’arrivai à l’altitude de mille mètres, alors que le soleil brillait ardemment sur la surface blanche de la neige, je crus vois le sommet. Personne dans la matinée ne s’était ingénié à le gagner et je dus calculer un plan de route pour éviter de faire un faux pas et une chute qui s’ensuivrait. Car, la pente par moment devenait vertigineuse et j’eus besoin de creuser des marches pour progresser.
Arbres
J’avais les pieds gelés et n’avais d’autres choix que de continuer. Ce que j’avais cru être le sommet s’avéra être un maximum local et j’avais encore à m’avancer d’une bonne centaine de mètres. Qu’ils furent joyeux ces derniers pas jusqu’à la cime ! La vue qui se dégageait tout autour me plongea dans une liesse insensée ; mais le froid était terrible. Le vent tournoyait au dessus de moi, et ses brises avaient l’effet d’un fouet sur mes doigts et mes mains, que j’avais laissés sans protection pour saisir des photographies.
Mon projet, hélas, avorta en urgence, parce que je commençai à geler tout entier. Si la vue sur les plaines, sur la mer et les fjords était une consolation inédite, en contrepartie, la gelée crue qui s’abattait sur mon corps m’inquiétait au plus haut point. J’avais l’impression de courir nu au milieu de la neige. Je redescendis en vitesse, sans dommage autre que ma main gauche enflée. Il faisait moins quinze degrés dans l’air. Avec le vent, la température ressentie était nettement moindre.
Lac de glace
Sur la dernière partie du trajet, je rencontrai une demoiselle en détresse. La pente était raide et glacée, et n’offrait quasiment aucun grip. La pauvre paraissait bien dépitée dans la descente et avait tenté sans succès de se laisser choir prudemment. J’avais pour ma défense des bâtons en pointe de carbone qui m’avaient maintes fois secouru d’une glissade mortelle. Alors, j’offris mon aide et nous parvînmes sains et saufs au pied de la montagne.
Ma seconde ascension me conduisit de l’autre côté du fleuve, à des endroits si somptueux que mortels. J’étais parti tôt pour conquérir quelques sommets farfelus dont le nom m’échappait. La veille, j’avais bien étudié la carte de l’ign norvégien sans pour autant dessiner mon chemin. Je fis d’ailleurs bien car je me perdis plusieurs fois et j’improvisai tout autant de fois pour me hisser toujours plus haut.
Traces dans la neige en fin de journée
Je parvins à une vallée de glace dont la neige vierge devenait aveuglante par moment. En effet, le soleil scintillait bravement au dessus. Il y avait bien dans l’après-midi quelques radieux nuages pour clore momentanément ces trop lumineuses réflections, mais ils étaient trop rares et surtout trop petits. Alors, un peu plus haut, je souhaitais traverser la rimaye mais la crevasse était trop importante et je n’avais pas de crampons. Je ne me hasardais pas plus longtemps et préférais couper par d’autres voies qui promettaient également de jolies vues par delà les monts. Mais plus j’avançais, plus les sommets semblaient s’éloigner. J’abdiquai vers quinze heures, de peur d’avoir à rentrer dans l’obscurité. Je croisais en début de pente un groupe de français qui montaient. Mais l’une des personnes se sentaient mal et je me proposais de l’escorter plus bas vers les arrêts de bus d’où elle pouvait rejoindre Tromsø.
Vue vers l’Est
Avant de rembarquer sur le Ms Lofoten, je m’installais sur les quais déserts pour prendre des photographies. J’avais déployé mon trépied et mesuré la lumière. J’étais subjugué par les reflets dans les eaux qui vibraient au gré des flots. J’avais du temps devant moi. La perspective de longues poses m’encourageait à fignoler le cadrage.
Puis le bateau se pointa et tout se passa très vite. Je revis à l’intérieur les habitués des croisières, les amoureux de la vieille machinerie. Mais plus que ces rencontres, certes amicales, mon cœur s’était enamouraché des étoiles, des aurores boréales si prégnantes, de ce petit bout de nord bercé par des eaux dansantes.
Désormais l’aventure m’attendait plus au sud à Sortland.