Sur les sentiers des Samis
Dálvve - Hiver de Noël à fin février
Gidádálvve - printemps-hiver de début mars à fin avril
Gidá - printemps fin avril à fin mai
Gidágiesse - printemps-été de fin mai à la Saint-Jean
Giesse - été de la Saint-Jean à la fin août
Tjaktjagiesse - automne-été de fin août à mi-septembre
Tjaktja - automne de mi-septembre à mi-octobre
Tjaktjadálvve - automne-hiver de mi-octobre à Noël
Le lagon bleu
Dernier opus de mon échappée au nord de la Norvège. Il me restait bien une semaine pour rejoindre Evenes, ce qui me laissait une bonne marge pour cheminer tranquillement. J’avais au cours de la traversée de Tromsø à Sortland, établi un tracé sommaire sur ma carte peu détaillée, ne me faisant guère d’illusions sur les possibilités réelles. J’avais en effet choisi de traverser une vallée pour gagner un fjord, mais aucune route ne figurait sur mon portulan. Qu’importe ! Ce n’était pas la première fois que je partais à l’aventure, l’essentiel étant d’avoir un but.
Le vent était comme à son habitude glacial. Je dus malgré moi emprunter une route bitumée. Bientôt la pluie mêlée de neige me brouilla toutes les pistes. J’avais tourné plus ou moins du côté de la vallée que j’avais notée sur mon plan. Une piste semblait la traverser, ce qui me soulagea de douloureux kilomètres à travers la neige mouillée, dans des coins marécageux que je supputais dangereux. Ma visibilité fut quasi nulle à mi-chemin, et je souffrai d’avoir galopé sur le macadam depuis les quais. Une halte s’imposa à l’entrée d’un domaine gardé. La flânerie nécessite toujours quelques instants de doute. Je m’abritais sommairement sous une pancarte, mais les chutes blanches furent si intenses que je me retrouvai rapidement submergé.
Quarante minutes plus tard, le mauvais temps se dissipa. Me délestant de quelques kilos de neige, je repris ma trotte. La clarté du jour entra dans le fjord que j’avais face à moi. Il était magnifique et je me délectais de ses moindres recoins. Avant la fin de son avancée, je trouvais un terrain solide sur lequel j’amarrais ma tente. Combien de fois avais-je déjà enterré mes sardines ? J’usais de mes souliers comme d’un marteau car la terre était dure et humide.
Lac gelé
J’y passais une nuit des plus lyriques. Au milieu de rien, j’avais pour moi, une vue imprenable sur les monts et le ciel. Ce dernier n’avait pas été avare d’étoiles en début de soirée, puis d’aurores boréales en fin de nuit. Je repris la marche vers dix heures après avoir bu une tasse de café chaud. Encore une fois, j’ignorais si je pouvais trouver un sentier pour traverser la vallée suivante. Je m’égarais plusieurs fois, pénétrant dans des voies à peine visibles, puis rebroussant chemin. J’essayais de trouver une possible entrée dans la jungle qui ressemblait à un rempart imprenable. Mes tentatives furent infructueuses et je desespérai d’avoir face à moi une sente claire qui me conduirait un peu plus au sud. Je me résolus à traverser la forêt, sûr d’y croiser derrière comme une lande. Mais la muraille était si épaisse et si menaçante que je ne fis que la longer. Bien m’en eut pris ! J’arrivai à une petite allée étroite qui paraissait aller vers le sud. Et je la suivis, m’élévant peu à peu jusqu’au col d’où je pus discerner la totalité de la vallée prolongée par une étendue d’eau turquoise encastrée entre deux montagnes, puis donnant sur la mer. Tel paysage ne m’était guère familier et c’était un régal sans appel qui me retardait d’une bonne demi-heure.
Ferme
La suite fut moins laborieuse. J’embarquai sur un ferry puis passai un autre col qui me permit d’entrer dans une splendide vallée que je longeai. Mais elle grimpait haut et bientôt les neiges entravaient mes pas. Cet excès de poudreuse me fit douter de la validité de mon projet : comment aurais-je l’audace de poser ma tente sur de la neige ? Je pourrais bien sûr déblayer le sol mais il semblait qu’une couche de glace était restée collée depuis l’hiver dernier. Je dus ma nuit tranquille à l’accueil d’une femme qui m’autorisa à dresser ma tente sur ton terrain, près de son habitation, là où la neige avait déjà fondu. Le sol, je m’en rappelle, était sec et parsemé de tunnels de rongeurs creusés pendant l’hiver.
Lorsque le lendemain, je repris la marche, j’ignorai alors que ce serait une très longue journée. Et plusieurs autres longues journées s’écoulèrent en vérité sans que je ne sentisse de douleurs aux pieds pourtant bien lacérés. Je naviguais à vue, cherchant des raccourcis par les montagnes où il n’y avait qu’obstacles et souffrances. Ma dernière tentative fut hargneuse. Et mon envie de franchir la montagne fut si grand que les mètres de neige vierge au milieu de la montagne ne m’intimidèrent pas. J’étais partagé entre la joie du conquérant découvrant de nouvelles terres, de nouvelles topologies, et la peur du mousse de se noyer dans quelques malencontreuses affaires. Ma prudence m’obligeait à sonder les terrains, car je parcourais des endroits inexplorés où nul humain n’avait mis le pied de tout l’hiver. Je n’en fus pas gêné, mais ralenti par tant de zèle, et parce que chacun de mes pas m’obligeait à un effort encore plus grand pour m’extraire du trou que je venais de creuser, j’avais les plus grandes peines du monde à me convaincre de continuer.
Fin de partie
Ma traversée fut longue et frigorifiante. Je n’y rencontrais aucune âme. Des cris de chien éveillèrent pourtant mon attention et je redoutai, après plusieurs coups de feu, d’être dans une de ces réserves pour chasseurs. Au bout d’un moment, je gagnai une route forestière. La neige n’avait point quitté les lieux, mais tassée, elle offrait un meilleur appui et je pouvais avancer avec un confort tout relatif. Cela me mena à une cabane abandonnée face à un lac gelé sur lequel des motoskis avaient laissé de gros sillons. Comme la nuit apparaissait et que mes pieds trempés manquaient de geler, je décidai de faire halte dans cet abri, bien particulier parce qu’ouvert d’un côté. On y trouvait beaucoup de choses de la vie : des couverts, du café, du thé, du bois, un réchaud et mille et un souvenirs témoignant de l’intense activité que l’endroit vivait certainement lors des longues veillées estivales.
Les jours suivants furent tout autant riches d’expériences. Je pénétrais des forêts, dormais le long du littoral. La plupart des gens que je rencontrais étaient des pêcheurs. Aucun ne fut assez bon pour discuter longuement avec moi. Mais tous furent assez magnanimes pour m’envoyer des sourires. L’un d’entre eux m’invita à sa table et je pus regoûter au Ekte GeitostLittéralement : « vrai fromage de chèvre ». En effet, les autres gjetost sont souvent mélangés avec du lait de vache et le goût est moins prononcé et moins crémeux. . Ce fromage qui n’en était pas véritablement un, m’avait appâté en Suède, et je m’étais toujours débrouillé pour en rapporter quelques kilos en France. J’aimais tout de lui : sa texture, son goût prononcé, son sucre si timéraire, et son onctuosité sans pareille une fois fondu sur le palais. Il se mariait idéalement pour moi avec une tranche de pain au levain bien cuit.
L’île
Mes excursions dans les territoires vierges des plateaux de l’Hinnøya me donnèrent des opportunités de rencontres uniques avec la faune locale. Les animaux étaient pourtant timides et il fallait se lever tôt ou attendre le crépuscule pour deviner leurs silhouettes. Leurs empreintes nombreuses dans la neige dérangeaient par leur diversité, et si j’étais capable de reconnaître les pattes douces des lièvres, j’avouais mon inaptitude à distinguer davantage. Par endroit, la neige et la glace s’étaient retirés et y avaient laissé des herbes jaunies et sèches. Elles brûlaient aisément, aussi avril était considéré par les Samis comme une période peu propice aux feux.
Approchant de la date fatidique du départ, je finissais d’engloutir mes boîtes de sardines avec le même appétit vorace qu’au premier jour. J’avais suffisamment de provendes pour encore une semaine, et je devais ce surplus consolant à l’amabilité d’un couple à qui j’avais demandé le chemin, et qui en retour, m’avaient non seulement offert les directions, mais en sus, quelques barres de céréales, du pain, des pâtes et des sachets de café. Quel festin !
Je fis la connaissance de Samis par hasard. Je ne sus véritablement comment, mais je frappais à une porte d’une modeste habitation pour demander de monter ma tente car toute la superficie alentour était réservée à la faune, et je ne voulais en aucun cas, me soustraire au règlement. C’étaient les derniers lieux sauvages pour de nombreuses espèces d’oiseaux. Une personne m’adressa la parole depuis son balcon, et ce ne fut qu’après quelques explications que je passais de la langue de StringbergOn parle bien le norvégien en Norvège, mais je m’en tins à ma seule connaissance des langues scandinaves : le suédois. Suffisamment proche, il m’avait permis de me faire comprendre et pour moi de comprendre les autres. à celle de Voltaire. Il se trouvait que mon interlocutrice parlât français parfaitement. Je crus à ce moment, que j’avais rencontré la seule personne francophone de toute la région. Elle était Samis comme son ami. Qu’avais-je appris au cours de la soirée qui suivit ! L’hospitalité Samis n’était pas vaine parole.
Exils volontaires
Durant la nuit, je repensais à tout mon périple. Il m’avait semblé fort long et intensif. De Lofoten à Tromsø, puis de Tromsø à Hinnøya, les paysages étaient si variés, les horizons si fascinants, les rencontres si riches. Dans quelques heures, j’allais enfin retrouver ma couche douillette. Je regrettais déjà d’avoir à partir.